Il y a quarante ans jour pour jour ce 26 mars 2024 que disparaissait celui unanimement désigné comme le ‘’père de l’indépendance’’ guinéenne. Depuis, naturellement beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Les antagonismes et autres divergences qui ont rythmé les 26 longues années de son règne révolutionnaire semblent encore être d’actualité…

‘’Héros’’ pour les uns, ‘’dictateur’’ pour d’autres, le moins qu’on puisse dire ou écrire, c’est que le premier président de la Guinée indépendante, Ahmed Sékou Touré, continue toujours de faire parler de lui. Ce qui était invraisemblable quelques jours après sa disparition inattendue le 26 mars 1984, loin de son pays natal, à Cleveland aux Etats-Unis.

En effet, presqu’une semaine après sa disparition, le 3 avril 1984, son régime fut renversé par une junte militaire à la tête de laquelle il y avait un officier supérieur effacé jusque-là, en occurrence le colonel Lansana Conté. Sous l’égide du Comité militaire du redressement national (CMRN), l’opération de démolition des œuvres de celui qui était appelé par ses inconditionnels soutiens ‘’Syli’’, qui signifie dans une langue locale ‘’l’éléphant’’, était déclenchée. En lieu et place d’un régime révolutionnaire, émergera très rapidement un régime capitaliste. Lequel sera d’ailleurs qualifié par certains de ‘’sauvage’’ tant il fut quelque peu surdimensionné. Sans doute aussi parce que le colonel Lansana Conté, disparu lui-aussi depuis plus d’une décennie, et ses camarades du CMRN n’y sont pas du tout allés de mains mortes. Et parce qu’ils se sont en quelque sorte défait de l’héritage révolutionnaire sans avoir eu à faire la part des choses, d’aucuns ont regretté le fait qu’ils auraient « jeté le bébé avec l’eau de bain ».

Une certitude autour de ce qu’on pourrait qualifier de déconvenue. Si tout au moins le CMRN avait largement répondu favorablement aux nombreuses attentes des guinéens, une certaine nostalgie teintée de profonde déception n’aurait peut-être pas un peu trop tôt surgi. C’est en tout cas sous le long règne au pouvoir du colonel devenu plus tard général Conté, que les derniers partisans du « Syli » reprendront du poil de la bête. C’est ainsi même que le parti-Etat, le PDG-RDA, finira par candidater à des élections présidentielles, même si le score récolté s’avérera particulièrement insignifiant. Cependant que ce score ne reflétera pas l’aura de son feu président-fondateur. Pour preuve, plusieurs décennies après, Ahmed Sékou Touré, tout au moins son image, n’est pas du tout oublié par nombre de ses compatriotes, même au plus haut sommet de l’Etat. Un acte récent à situer dans ce cadre, la décision de l’actuel président de la transition de rebaptiser l’aéroport international Conakry-Gbessia du nom d’Ahmed Sékou Touré. Le Général Mamadi Doumbouya ne s’en est d’ailleurs pas tenu à ce seul acte. Un vaste domaine attribué à tort ou à raison à Ahmed Sékou Touré a été restitué à sa famille.

Bien avant le Général Doumbouya, il faut noter que son prédécesseur, le Pr Alpha Condé, ne manquait pas lui aussi de rendre hommage au président défunt. Sous son magistère, après avoir renouvelé le Palais Sékoutouréya, il ne daignera pas du tout à changer d’appellation.

Sur l’échiquier politique national, s’il reste constant que le PDG-RDA n’est toujours pas près de jouer les premiers rôles, il existe et entend faire prospérer l’idéologie révolutionnaire. A côté de ce parti, celui fondé par un chevronné défenseur de feu Ahmed Sékou Touré, en occurrence Ismaël Condé. Le PRPAG, dont il s’agit, continue lui-aussi de se battre avec ses moyens de bord.

Il n’y a évidemment pas seulement que ceux qui continuent de parler en bien de Sékou Touré et de son régime révolutionnaire. Il y a naturellement aussi nombre de ses compatriotes qui ne se lassent pas depuis sa disparition le 26 mars 1984 de revisiter ce qu’ils considèrent comme un passé douloureux de la Guinée qui n’aurait jusqu’ici pas été assumé. D’aucuns d’entre eux, en plus d’exiger la reconnaissance des torts subis le plus souvent par leurs parents, exigent des réparations. Finiront-ils par être entendus un jour ? Difficile à dire, surtout qu’après la période révolutionnaire, bien d’autres avènements politiques aussi complexes les uns que les autres sont venus se greffer aux désaccords politiques persistants. Souvent nés des perceptions, conceptions et interprétations de plusieurs générations, dont certaines, les plus jeunes nourrissent parfois bien d’autres préoccupations.

Moussa Soumah