La communication de l’Association des Magistrats de Guinée (AMG) devant le CNT le 31 mai dernier à l’occasion du débat d’orientation constitutionnelle est assez révélatrice de l’état de déliquescence dans lequel a sombré notre appareil judiciaire .
« …théâtralisation, désacralisation, banalisation, infantilisation de la justice…» sont les termes utilisés par l’AMG pour décrire l’état préoccupant de nos Cours et Tribunaux pourtant censés dire le droit et encadrer l’action publique.

C’est dire si l’engagement pris le 5 septembre 2021 par le Colonel Mamadi Doumbouya de mettre fin à l’instrumentalisation de la Justice pour en faire la boussole de la transition n’a été que leurre et chimère.

L’instrumentalisation de la justice pour servir l’agenda du CNRD a été la norme depuis septembre 2021.

Qu’il s’agisse du limogeage des deux anciens ministres de la Justice, Me Fatouma Yarie Souma et Alain Moriba Koné, des opérations montées sur la récupération des biens de l’État, de la mise en cause du principe de la présomption d’innocence, du bâillonnement des voix contradictoires au CNRD, de l’intimidation et du harcèlement judiciaire des principaux responsables sociaux et politiques, aux arrestations et aux emprisonnements arbitraires, à l’absence de procédure et au vice de forme dans la libération des membres du FNDC : on voit clairement que le CNRD est la justice elle-même, et il définit le droit selon ses intérêts et ses humeurs.

Plus grave, la répression des manifestants pro-démocratie, entrainant la mort de dizaines de personnes tuées par balles par les FDS dans les manifestations pacifiques et dont les familles attendent que justice soit faite.

L’inféodation de la justice à l’Exécutif ne va pas sans la corruption à grande échelle qui la gangrène.

En effet, la corruption industrielle qui ronge notre pays entrave sévèrement l’action de l’État et ampute lourdement ses budgets. Elle est à la source de la profonde crise de légitimité dont souffrent toutes nos institutions publiques et notre personnel politique.

Il est dès lors guère surprenant que la Guinée soit toujours parmi les mauvais élèves et reste classée parmi les pays les plus corrompus d’Afrique de l’Ouest.

La justice se doit de rassurer quant à son indépendance, son impartialité et sa neutralité peu importe qui est justiciable. Mais une justice aux ordres n’est pas faite pour rendre des décisions de justice au nom du peuple mais pour rendre service au pouvoir, satisfaire ses desiderata et réduire au silence les voix dissonantes.

Dr Kassory Fofana, Amadou Damaro Camara, Dr Mohamed Diané, Oyé Guilavogui, Sylla Billgates, Dr Ibrahima Kourouma, Mohamed Lamine Bangoura, Ghido fulbhé et bien d’autres en savent quelque chose.

Dans l’histoire récente de la Guinée, la Justice a toujours été du côté des oppresseurs. Au lendemain des indépendances, chacun savait à quoi s’en tenir puisque politique et justice se confondaient. Le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance des juges étaient quasiment inexistants. À la faveur du changement de régime en 1984, la Guinée a opté pour la démocratie, l’État de Droit et les libertés individuelles, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.

Mais fort malheureusement, la justice n’a jamais su se montrer à la hauteur des attentes des citoyens. L’une des pages les plus sombres de ces vingt dernières années, sur le plan judiciaire, reste incontestablement les procès et arrestations des acteurs de la société civile et des partis politiques de 2019 à 2023 que l’opinion publique nationale , et même la communauté internationale, ont qualifié de comédie ou de parodie de justice.

En 2013, les états généraux de la justice ont été organisés au Palais du Peuple à l’initiative du Pr.Alpha Condé, Président de la République d’alors. Un exercice similaire a été répété par le putschiste Mamadi Doumbouya dès sa prise de pouvoir.

Au lendemain de ces états généraux et surtout au regard des recommandations qui avaient été présentées au premier magistrat du pays, on pouvait espérer que la justice ferait sa mue. Mais, plus de vingt six mois après, la justice continue à être une déception pour bon nombre de citoyens, au point qu’on peut se demander aujourd’hui si elle est réformable.

Elle est toujours minée par les mauvaises pratiques qui ont tendance à devenir une gangrène. Pourtant, les magistrats sont à l’heure actuelle les « agents de l’État » les plus choyés et les mieux payés de la République. Mais la justice n’arrive toujours pas à satisfaire les justiciables.

Loin de jeter l’opprobre sur tout le personnel judiciaire, nul doute que certains magistrats s’acquittent de leurs missions avec éthique et responsabilité, dans le silence de leur conscience, et disent le droit rien que le droit, un constat implacable s’impose à nous.

La justice est devenue le deuxième pied de la dictature, l’autre étant les forces de défense et de sécurité.

Comme l’a dit le doyen Thierno Monénembo, je cite « L’intellectuel guinéen a un gros problème : son ventre est dix fois plus curieux que sa tête. Préoccupé de belles maisons et de bonne bouffe, de bolides et de blazers, englué jusqu’au cou dans le plus sordide des quotidiens, notre bonhomme a définitivement déserté le champ historique et culturel. Ce qui laisse la porte grandement ouverte aux crétins et aux fripouilles. Est-ce bien malin que de se faire guider par plus petit, plus vil et plus ignorant que soi ? ».

Les magistrats ne devraient pourtant pas perdre de vue que si Mamadi Doumbouya a eu des mots durs à l’encontre de la justice quand il est arrivé au pouvoir, un autre ferait la même chose un jour. Des magistrats ont contribué volontairement ou involontairement à tuer le rêve démocratique Guinéen. Mais, ils seront eux-mêmes jugés un jour par le Tribunal de l’Histoire.

Disons-nous la vérité, l’impasse est voulue et entretenue à dessein ! Harcèlements judiciaires, arrestations arbitraires, refus d’exécuter les ordonnances de mise en liberté conditionnelle, interdiction de sortie du territoire, gel des avoirs en banque, passeports confisqués.
Autant de violations des droits de La Défense et des règles de procédures les plus élémentaires qui ne sont pas sans déshonorer l’institution judiciaire ou du moins ce qu’il en reste.

Quand comprendons-nous qu’il n’existe pas de paix véritable sans justice et que le développement tant attendu par les Guinéens en dépend largement ?

SEKOU KOUNDOUNO
RESPONSABLE DES STRATÉGIES ET PLANIFICATION DU FNDC